Visite présidentielle à Lens
Posté par Le Lensois Normand le 20 mai 2013
Sadi Carnot, élu Président de la République le 3 décembre 1887 effectue lors de son mandat de nombreux voyages en provinces. Du 3 au 4 juin 1889, il visite le Pas de Calais en compagnie de Yves Guyot, Minsitre des travaux publics. Le 1er juin, il est de passage à Lens où les habitants lui font un accueil triomphal.
Arrivé la veille à Arras, c’est dans le train présidentiel qu’il quitte le Chef-Lieu du Pas de Calais à 9h23.
Vingt minutes plus tard, le convoi spécial entre en gare de Lens.
Il fait un temps splendide, la foule est nombreuse sur la place et fait une ovation au Président de la République. Sadi Carnot refuse la voiture mise à sa disposition et décide de rejoindre la mairie à pied.
La ville a été décorée : chaque commerçant, chaque particulier a tenu à orner la devanture de sa maison avec drapeaux, lanternes vénitiennes et écussons. De nombreux mineurs se pressent sur les trottoirs pour apercevoir le Président et le saluer par des ‘Vive Carnot‘ et ‘Vive la République‘ . 6000 d’entre-eux ont revêtu leur tunique blanche des jours de fête.
De nombreuses sociétés musicales se sont installées le long du parcours et entonnent ‘la Marseillaise’ au passage du Président.
Une vingtaine de portes en forme d’arc de triomphe sont disposées le long du parcours. Chaque société a composé la sienne. Les Sapeurs-Pompiers ont confectionné une tour au sommet de laquelle trois d’entre-eux présentent les armes. Celle de l’agriculture et de la meunerie est formée de meules de paille et de sacs de blé. Les commerçants et l’hospice de Lens ont aussi la leur. Sur une autre, on peut lire : ‘A Monsieur Carnot, la fabrique de l’église de Lens‘.
L’ambiance est à la fête. Aucun incident ne viendra rompre le charme de cette journée. Seuls, une soixantaine de gendarmes a été mobilisée et n’aura pas à intervenir.
A la mairie, Sadi Carnot est accueilli par M. Marmottan, Président du Conseil d’Administration des Mines de Bruay, M. Vuillemin, Président du Comité Départemental des Compagnies Minières et M. Frémicourt, Maire de Lens et négociant en alcools.
Ce dernier donne le coup d’envoi du grand défilé : Sociétés de musique en tête dont la grande fanfare des Mines de Lens suivie des fanfares des autres compagnies minières. Puis viennent les autres sociétés dont l’Harmonie des Enfants de la Plaine chère à Guislain Decrombecque et qui est emmenée par M. Alfred Wagon , pharmacien et futur maire de Lens.
Arrive le moment des décorations remises par le Président de la République. La Légion d’Honneur pour Emile Vuillemin et André Louis Deprez, le Maire de Harnes, Palmes Académiques pour Louis Schmit, Maire de Liévin, deux médailles militaires pour des gendarmes et des médailles d’honneur pour deux sapeur-pompiers.
A 10 h 45, Sadi Carnot arrive chez Arthur Hugot, petit fils et successeur de Guislain Decrombecque, le grand agriculteur lensois décédé en 1870. La sucrerie, équipée des toutes dernières technologies est l’une des plus importante de la région. La ferme qui lui est adjointe est également bien agencée pour les 200 bovins à viande, 50 chevaux, la quarantaine de bœuf de labour et l’énorme troupeau de moutons.
Arthur Hugot accueille le Président dans sa cour, une centaine d’employés font une haies d’honneur. Après la visite, le cultivateur-industriel remercie le Président et assure le Gouvernement de la sollicitude du monde agricole. Avant de partir, Carnot remet à Arthur Hugot sa seconde médaille de la journée, celle du Mérite Agricole, devant des ouvriers qui applaudissent chaleureusement les deux hommes.
Le Président se rend ensuite aux Bureaux Centraux des Mines de Lens en passant par le Boulevard des Ecoles où les élèves des écoles Condorcet et Campan, montés sur les tables installées sur les trottoirs, ovationnent le cortège et hurlent : ‘Vive Carnot, vive la France‘.
Sadi Carnot emprunte ensuite un train spécial des Mines de Lens qui emmène la délégation visiter la fosse 5 située sur le territoire d’Avion. Cette fosse, mise en service en 1875 est un modèle de modernisme et de production.
Le président est accueilli par Elie Reumaux, Ingénieur en Chef des Mines de Lens, Edouard Bollaert, Agent Général et Piéron, le Maire d’Avion. Après avoir salué douze mineurs en tenue qui lui font une haie d’honneur, le Président visite la fosse.
Il visite le chevalet où il assiste à l’ascension d’une cage comportant des berlines de charbon puis continue par l’atelier de criblage où de jeunes femmes lui souhaitent la bienvenue en lui offrant un bouquet de fleurs. Les ‘Vive Carnot‘ se font de nouveau entendre.
Il se rend ensuite à l’entrée du puits où une cage remonte les seize plus anciens ouvriers de la fosse. Le plus âgé remercie le Président et lui offre une gaillette extraite le matin même. Une autre cage remonte les douze plus jeunes galibots à qui le Président offre 100 francs à se répartir.
Puis Carnot reprend le train spécial qui le conduit à la Cité Dumoulin toute proche où, sur une estrade installée en pleine rue, il remet à vingt-et-un mineurs des Médailles du Travail.
Le Président se dirige alors vers la maison d’un couple de mineurs, M. et Mme Douanne, parents de huit enfants. Il visite leur maison qu’il juge ‘très propre et bien entretenue‘. N’apercevant que deux filles, il demande aux époux où sont les six autres enfants de la famille ? C’est la femme qui lui répond qu’ils sont tous au travail à la mine. Carnot offre aux époux cent francs pour leurs enfants.
Ovationné par les voisins, Sadi Carnot reprend le train pour se rendre à la fosse 2 où a lieu un grand banquet offert par le comité des sociétés houillères.
Là, une table de 400 couvert l’attend. L’aubade est interprétée par les fanfares des Mines de Lens, Liévin et Courrières. MM. Emile Vuillemin et Léonard Danel (Président du Conseil d’Administration des Mines de Lens) prononcent chacun un discours auquel répond Carnot qui les félicitent pour la qualité de leurs entreprises et leur ‘paternelle sollicitude’ envers les mineurs.
Apparemment pas encore repus, Sadi Carnot et son escorte se rendent ensuite au magasin Hugot où cette fois ce sont les ouvriers des Mines qui lui offre un banquet. Ils sont 1200 convives. C’est André Louis Despretz qui prononce le discours d’accueil en remerciant le Président de sa venue et d’avoir bien voulu fraterniser avec les ouvriers de la mine et de l’agriculture. Ce à quoi Carnot répond : ‘Je salue une population laborieuse et fière, attachée aux libres institutions qui lui ont assuré une ère de paix, d’ordre et de progrès’.
Tous les ouvriers se lèvent alors et crient : ‘Vive Carnot, vive la République‘.
Puis M. Carnot félicita le Maire de Liévin, M. Schmit et M. Viala, Directeur des Mines de Liévin venus apporter leur concours à cette fête. Il fit ensuite l’éloge des Compagnies Minières ‘qui savent maintenir d’une manière exemplaire l’union et la concorde dans la grande famille formée par les corons où les grèves sont inconnues‘.
Avant de partir pour Béthune, M. Carnot fait remettre à la Compagnie des Mines de Lens la somme de 1500 pour les mineurs nécessiteux. La même somme est remise à M. Frémicourt pour les pauvres de la ville.
Vers 15h00, la délégation présidentielle remonte dans le train spécial et emprunte la voie de chemin de fer des mines pour se rendre à Béthune avec un arrêt à Violaines.
Les déclarations de Carnot sur la ‘paternalisme’ des Compagnies et ‘l’union et la concorde dans les corons’ se voient rapidement contredites : le 10 octobre 1889, soit un peu plus de quatre mois après son passage, les mineurs de la Compagnies de Lens se mettent en grève, grève qui s’étale rapidement à l’ensemble du bassin pour une augmentation des salaires et contre les longues coupes (qui obligent les mineurs à un temps de travail augmenté en échange de plus de primes). D’autres suivront en 1891 (augmentation des primes et reconnaissance des syndicats). Pour faire face à ces dépenses supplémentaires, les Compagnies embauchent des mineurs venus de Belgique qu’ils payent nettement moins que les Français. Ceci déclenche une nouvelle grève et de graves incidents dans les corons de la région lensoise en août et septembre 1892.
Le Président Carnot est assassiné le 24 juin 1894 lors de l’Exposition de Lyon par Sante Geronimo Caserio, un anarchiste italien qui le poignarde au foie. La Ville de Lens donnera le nom de Sadi Carnot à une école communale d’abord installée rue de Lille puis déplacée sur la place du Cantin après la première guerre mondiale.
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