Ce texte ne relate en aucun cas un accident ferroviaire. Ici, le Wagon dont il est question n’est autre qu’Alfred Wagon, maire de Lens de 1892 à 1896.
Alfred Joseph Wagon est né le 4 mai 1849 à Oisy-le-Verger, près de Marquion dans le Pas-de-Calais.
Fils de médecin, il fait des études de pharmacie et en 1874 ouvre une officine dans le Grand Faubourg de Lens (qui allait devenir le Boulevard des Ecoles puis le Boulevard Basly) . Là, il habite avec son épouse et ses trois enfants.
Alfred Wagon travaille également auprès de la famille Decrombecque pour qui il effectue des recherches sur l’amélioration de la nourriture animale par la chimie.
Pharmacien réputé, il accueille souvent dans son commerce de jeunes stagiaires qui viennent profiter de son expérience. Le plus connu est sans aucun doute Auguste Béhal qu’il prend sous sa protection pendant trois ans. Amant Valeur, autre savant lensois, effectue également un stage chez Alfred Wagon.
Excellent musicien, Wagon est aussi le président de l’Harmonie des Enfants de la Plaine de Lens créée par Guislain Decrombecque.
Il est conseiller municipal depuis plusieurs années lorsque le maire Auguste Frémicourt-Douchet, un négociant en vin de la Grand’Place, donne sa démission.
Auguste Frémicourt est un radical modéré. Dès 1889, il s’oppose à l’utilisation des troupes contre les mineurs grévistes. Il réitère sa position lors des grèves de 1891 et 1892 déclarant qu’il préfère démissionner plutôt que de donner des tickets de logement aux militaires.
Frémicourt, Wagon et Basly sont pourtant de la même famille politique, le tout récent Parti Radical dirigé par Georges Clemenceau. Ce parti hétéroclite est composé selon la presse d’alors de politiciens ‘’sachant louvoyer pour se faire élire en dehors des partis traditionnels’’. On y trouve des anti-royalistes, des anti-bonapartistes, des anticléricaux, des anti-anarchistes ….
En 1891, lors d’une réunion à Carvin des membres de ce parti, Frémicourt soutient Basly contre Wagon pour la désignation de leur candidat aux élections législatives du 21 février. Les adhérents élisent cependant le pharmacien. Cette décision entraîne des heurts violents entre les partisans des deux candidats.
Finalement Basly se présente tout de même …. avec l’étiquette socialiste et est élu aisément, dès le premier tour de scrutin, obtenant 8.895 suffrages contre 5.477 à Alfred Wagon. Ce dernier créée alors à Lens ‘la Ligue Radicale’ aux idées ‘très avancées’ selon la presse d’alors.
En août 1892, un nouvelle grève des mineurs se déclare à Carmaux et s’étale rapidement à tous les bassins miniers. A Lens, Frémicourt s’oppose de nouveau à l’utilisation de la troupe. Il n’hésite pas à envoyer l’officier qui lui transmet les ordres de réquisition de logements chez Edouard Bollaert, le Directeur de la compagnie minière qui avait sollicité l’intervention de l’armée auprès du gouvernement.
Le 2 septembre, jour de quinzaine dans les mines, Frémicourt remet officiellement au préfet sa démission du poste de Maire de Lens, n’étant plus soutenu par la majorité des conseillers municipaux.
Alfred Wagon est alors désigné maire par intérim. Il prend définitivement ses fonctions en octobre.
La mairie de Lens
La Société des Mines de Lens a maintenant les mains libres pour réprimer les grèves comme elle l’entend. Lors d’un nouveau mouvement en 1893, les responsables du Syndicats des Mineurs protestent auprès du maire de Lens contre l’utilisation des militaires et leur cantonnement dans les propriétés privées lensoises. Alfred Wagon leur répond qu’il ne peut ni s’y opposer ni légiférer contre une décision nationale.
Pourtant, c’est bien un Arrêté Municipal qui ordonne à la Gendarmerie d’expulser les grévistes des établissements publics de la ville.
Dès lors, entre le maire de Lens et le Député de la circonscription, c’est la guerre. Les deux hommes n’hésitent pas à déclarer publiquement la haine qu’ils ont l’un de l’autre.
C’est alors que des bruits se rependent en ville et que des lensois commencent à parler de malversations financières à la mairie, Basly voit là une occasion de se débarrasser de Wagon. Il parvient à faire parler le Receveur Municipal. Et il en apprend ! Le Député s’arrange pour que la presse locale reprenne ces accusations et refuse de se rendre à une réunion locale le 9 février au cours de laquelle Wagon promet de s’expliquer.
Après avoir monté un dossier complet, inattaquable, Basly intervient auprès du Président du Conseil des Ministres Léon Bourgeois à qui il dépose une plainte contre Alfred Wagon pour malversations financières dans la Caisse Municipale de Lens. Bourgeois demande au Préfet du Pas de Calais et à la Cour des Comptes d’effectuer des enquêtes.
Le 1er février 1896, un inspecteur général des finances et un agent de la Sureté Nationale investissent la mairie de Lens et épluchent les comptes municipaux. Les faits sont rapidement établis.
En 1892, 1893 et 1894, Lefevre-Blondiau, Directeur de la salle de l’Alcazar, établit des factures prétendues couvrir les frais de location pour l’organisation de banquets municipaux du Nouvel An. Or ces banquets n’ont jamais eu lieu. Malgré l’opposition du Receveur Municipal, le montant de ces factures a été remis en espèces à Alfred Wagon par le comptable. Le maire se défend et, tout en ne niant pas avoir encaissé cet argent, prétend qu’il sert à couvrir ses frais personnels de représentation.
Wagon a aussi prélevé de l’argent dans la caisse pour régler de fausses factures d’entreprises de Mont Saint Eloi pour la fourniture de bordures de trottoirs bien que celles-ci n’aient jamais été livrées à la ville.
Le budget des dépenses municipales est passé de 170.000 francs en 1890 à 670.000 francs en 1895. D’autres malversations apparaissent dans la comptabilité de la commune :
- la disparition d’une partie de la recette de la location d’emplacements des marchés de Lens,
- le détournement de ‘’deniers provenant de souscriptions particulières pour la création de l’Institut Pasteur de Lille’’ dont la liste de souscription a mystérieusement disparu,
- l’absence de factures pour des locations d’établissements municipaux réglées en espèces,
- le paiement du salaire d’une femme travaillant au service personnel de Wagon avec des bons du bureau de bienfaisance municipal,
Outre cela, bon nombre de notes manuscrites afférentes aux budgets des années 1892,1893 et 1894 ne sont pas soldées.
Le 13 février 1896, Emile Basly rencontre de nouveau Léon Bourgeois. Il lui apprend qu’il va interpeller le Gouvernement à la Chambre des Députés au sujet de la gestion des deniers de la ville de Lens par Alfred Wagon. Bourgeois demande au Préfet du Pas de Calais de suspendre à titre conservatoire Alfred Wagon de ses fonctions de maire de Lens..
A l’issue de son enquête, la Cour des Comptes conclura lors de son jugement du 21 juin 1897 : ‘’Le sieur Wagon, ancien maire de Lens, est déclaré comptable des deniers de la commune dont il a eu le maniement irrégulier pendant les années 1893,1894 et 1895’’.
Le 2 mars 1896, le Président de la République Félix Faure accepte et signe le décret de destitution proposé par Léon Bourgeois. Les biens ‘actuels et futurs’ d’Alfred Wagon sont saisis jusqu’à concurrence du remboursement à la ville de la totalité des sommes détournées.
Alfred Wagon abandonne la vie publique, vend sa pharmacie quitte Lens avec sa famille. Il décèdera en 1928 à Vercelli (Italie) à l’âge de 80 ans.
Basly ne prendra pas pour autant la mairie puisque c’est Eugène Courtin, administrateur des Mines de Liévin et Président de la Caisse d’Epargne de Lens qui remportera l’élection municipale du mois de mai 1896. Basly aura sa revanche et deviendra Maire de Lens en 1900.