Le triste Noel de Lens de 1915

Posté par Le Lensois Normand le 21 décembre 2013

   4 octobre 1914, les troupes allemandes envahissent Lens. Elles y resteront quatre années. Aussitôt, pour la population, ou plus exactement pour les lensois qui n’ont pas voulu quitter la ville (18000 sont partis), ce ne sont que privations et humiliations.

   En ce Noël 1915, les lensois n’ont pas le cœur à réveillonner, n’ont pas de quoi faire un repas de fête, n’ont pas de jouets à offrir aux enfants. Depuis 15 mois, l’ennemi est dans leurs murs et leur pille tout et depuis plus d’un an des obus tombent sur la ville et les corons.

   Les soldats allemands sont partout en ville, dans les corons. Ils ont fait leur les habitations abandonnées par les lensois partis en exode. Les officiers ont pris les plus belles maisons du centre ville, les simples soldats habitent ‘’chez l’habitant’’, souvent dans les maisons des mines.

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   Dans la plupart des familles de mineurs, le papa n’est pas là. Il est parti quelques mois auparavant, ‘la fleur au fusil’. Peut être est il dans une tranchée en Champagne, en Belgique, à Verdun ; peut être est il blessé dans un hôpital ; peut être est il mort …..

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   Ce Noël 1915 ne peut être un Noël ordinaire. Chaque jour, dans les corons, les femmes doivent faire preuve d’imagination pour donner à manger aux enfants : avec le moulin à café, moudre du mauvais blé glané dans ce qu’il reste des champs pour qu’un peu de farine de mauvaise qualité aide à leur donner du pain, utiliser des trognons de choux ou des feuilles de pissenlit pour aromatiser la soupe épaissie par quelques pommes de terre ramassées dans la boue et le froid de cet hiver.

   Pour les aider, le maire de Lens, Emile Basly a mis en place une épicerie municipale en ville dans les locaux de la Banque de France et la commune alloue 30 francs aux plus démunis.

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   Mais la ville, c’est loin pour celles qui vivent dans les corons, habitent dans des maisons déjà pratiquement en ruine. Il faut parfois traverser les lignes entre les armées. Les plus chanceuses reviennent avec leurs maigres victuailles, d’autres sont dévalisées sans vergogne par d’avides soldats, d’autres encore sont blessées par des tirs sans savoir s’ils sont allemands ou français, d’autres ne reviennent jamais nourrir leurs enfants …

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   Pourtant, Noël, c’est Noël ! Il faut célébrer. Les messes ne peuvent être dites dans les églises qui ont déjà reçu les cicatrices de la bêtise humaine. L’église Saint Pierre dans la cité 11 est inutilisable, trop dangereuse avec ses plaies béantes et sa tour décapitée. Les lensois des corons devront rester chez eux et se réunir dans les caves pour prier et chanter.

   Une famille entière ne fêtera pas Noël, celle d’un mineur nommé Moisse. Le 22 décembre  un obus allié tombe sur sa maison de la fosse 1. Lui est grièvement blessé et sera amputé d’une jambe. Sa femme et ses quatre enfants sont morts sous ses yeux. Le même jour, Rue de la Paix (joli nom pour l’époque), c’est un cheminot, Paul Leflon, sa femme et l’une de ses filles qui sont tués alors qu’ils se croyaient en sureté dans leur cave. A trois jours d’un bien triste Noël !

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  Malgré les privations, quelques gamins de la ville peuvent aller à l’école. Des classes sont installées dans les sous-sols d’une salle des fêtes. Emile Basly veut récompenser ces élèves particuliers qui apprennent à lire en vivant comme les taupes. Il demande à ses administrés de rechercher des livres parmi les décombres. Le jour de Noël 1915, dans ces conditions exceptionnelles, il donne un peu de joie à ces enfants en organisant une distribution des prix.

   On apprend que la Comité Américain fait don à chaque habitant de 100 grammes de farine. Mais comme on ne trouve pas d’œufs, il n’y aura pas de coquille de Noël cette année. Quant au bâton de sucre d’orge qui accompagnait la coquille avant la guerre, il y a bien longtemps que les enfants en ont perdu le goût. Il n’y aura pas de viande non plus, on n’en trouve plus depuis plusieurs jours à Lens. Peut être que les allemands se sont servis.

   Pourtant, en ville, on voit beaucoup de sapins, de décorations. Les Allemands veulent faire la fête ! On voit des soldats arriver en voiture porteurs de paquets cadeau pour les officiers. Ces mêmes officiers qui interdisent aux lensois de recevoir le moindre colis.

  Le soir du 24 décembre, dans les estaminets de la ville où se retrouvent les soldats, ce ne sont que chants paillards et beuveries. Les officiers sont eux sur la Grande Place, à l’hôtel des Voyageurs dont ils ont fait leur lieu de détente. Ils réveillonnent en compagnies de quelques jeunes lensoises de petite vertu. Ils assisteront à ‘leur’ messe de Noël à l’église Saint Léger où pourtant un obus a détruit l’un des piliers quelques jours plus tôt tuant deux soldats allemands.

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   Le jour de Noël, alors que sur certaines zones de combats, les soldats respectent une trêve et font ‘ami-ami’ comme l’année précédente, il n’en est rien à Lens. Les soldats allemands assisteront à ‘leur’ messe de Noël à l’église Saint Léger où pourtant un obus a détruit l’un des piliers quelques jours plus tôt tuant deux de leurs hommes.La grande messe de Noël pour les civils est dite à la chapelle de l’hospice mais peu de lensois osent s’y aventurer.

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   De nombreuses bombes tombent sur le Boulevard des Ecoles, sur la Place du Cantin. Le nord-ouest de Lens est aussi bombardé. Le lendemain, un communiqué officiel des forces alliées parlera d’un bombardement ‘efficace’ sur la gare. Réussi peut être militairement mais toutes les rues avoisinantes sont touchées et on relève bon nombre de victimes civiles.

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   Il y aura encore un autre Noël à Lens, en 1916, encore plus triste. Puis plus rien, les autorités allemandes évacuent toute la population en avril 1917. La prochaine fois que des lensois fêteront Noël dans leur ville, ce sera en 1919 …. dans ce qu’il restera de Lens.

Documents utilisés principalement :

‘’Dans la fournaise de Lens, journal du notaire Léon Tacquet’’, édité par Gauheria dans son dossier n° 7 (2004)

‘’Le martyre de Lens’’ d’Emile Basly aux Editions Plon 1918

‘’Lens, son passé, ses houillères’’ d’Alfred Bucquet, Edition Centrale de l’Artois 1950

‘’Mineur de Fond’’ d’Augustin Viseux pour Terre Humaine, Edition Plon 1991

Une Réponse à “Le triste Noel de Lens de 1915”

  1. Jeanne P. dit :

    Ma grand-mère avait connu ces sinistres moments, la cohabitation avec des Allemands dans sa propre maison ; avant d’ »évacuer » avec ses deux filles âgées d’un an et trois ans. Elle remit ça quelque 25 ans plus tard !

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